Etude écologique des nématodes des rizières du Sénégal

Renaud FORTUNER
Laboratoire de Nématologie,
ORSTOM, B.V. 51, Abidjan, Côte d'Ivoire

Cah. ORSTOM, sér. Biol., vol. XI, n" 3, 1976 : 179-191    179


RÉSUMÉ
Des observations sur le terrain et des expériences au laboratoire ont permis d'expliquer l'existence des axes de variation géographique et hydro-topographique constatés dans les peuplements nématologiques des rizières sénégalaises.
—    Seules les espèces du genre Hirschmanniella sont parfaitement adaptées à la submersion prolongée. Tylenchorhynchus mashhoodi, lui, ne supporte pas ces conditions mais se développe très rapidement quand le sol est aéré et humide.
—    La texture du sol rend compte de la répartition différente des deux espèces du genre Hirschmanniella présentes au Sénégal.
Hirschmanniella oryzae survit à la saison sèche dans le Delta grâce à une phase quiescente. Il est présent sur de nombreuses plantes spontanées qui entretiennent l'infestation de toute la région, même de zones non rizicoles.

ABSTRACT
Field observations and laboratory experiments were made in order to explain the geographical and the hydro-topographical gradients observed in the distribution of the nematode fauna of senegalese rice fields.
—    The species belonging to the genus Hirschmanniella are the only ones which are perfectly adaptated to constant flooding. Tylenchorhynchus mashhoodi does not develop under such conditions but its populations increase greatly in wet and aerated soils.
—    Soil texture could explain the differential repartition of the two species of the genus Hirschmanniella found in Senegal.
Hirschmanniella oryzae survives during the dry season in the Senegal Delta in a quiescent form. This species was found parasiting several weeds in the Senegal Delta, even in areas never cultivated with rire.

L'étude de la faune associée au riz dans les diverses régions rizicoles et les divers types de rizières existant au Sénégal et dans les pays voisins (Fortuner & Merny, 1973; Fortuner, 1975) a révélé l'existence de deux axes de variation dans les peuplements :
—    Un axe géographique Sud-Nord.
—    Un axe hydro-topographique : rizières inondées, rizières de nappe, rizières de plateau.

Nous avons tenté de définir les conditions d'établissement de ces axes de variation par des études écologiques portant sur trois espèces :
—    Hirschmanniella oryzae (Van Breda de Haan) Luc & Goodey est l'espèce dont l'importance relative reflète le mieux les variations géographiques. Espèce secondaire en Basse Casamance, elle devient plus fréquente en Haute Casamance; c'est l'espèce dominante des rizières de Gambie et la seule que l'on rencontre dans le Nord.
—    Hirschmanniella spinicaudata (Schuurmans-Stekhoven) Luc & Goodey et Tylenchorhynchus mashhoodi Siddiqi & Basir sont les espèces typiques des rizières de Basse Casamance. La première se développe dans les rizières inondées, la seconde se rencontre plutôt dans les rizières de nappe, intermédiaires entre les premières et les rizières de plateau.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Les nématodes utilisés pour les expériences provenaient des élevages de routine entretenus au laboratoire à partir d'individus prélevés dans les rizières du Nord (H. oryzae) ou de Casamance (H. spinicaudata, T. mashhoodi).

Les nématodes étaient extraits du sol par élutriation selon la méthode de Seinhorst (1950) et des racines par un asperseur à brouillard (Seinhorst, 1962).

La variété de riz I Kong Pao a été utilisée pour toutes les expériences. Cette variété, courante au Sénégal, s'adapte aussi bien aux conditions de la riziculture inondée qu'à celle de la riziculture sèche.

OBSERVATIONS ET RÉSULTATS

1. OBSERVATIONS SUR LE TERRAIN

Nous avons d'abord cherché à préciser les données fournies par l'étude faunistique, qui considérait les peuplements des rizières à un moment donné du cycle du riz (épiaison-maturité), par une étude de l'évolution annuelle des populations de deux rizières typiques, l'une du Delta du Sénégal, l'autre de Basse-Casamance.

1.1. Evolution annuelle d'une population d'Hirschmanniella oryzae dans une rizière du Delta du fleuve Sénégal

La rizière choisie, champ de M. Souleymane M'Bodj à N'Dieten dans le Delta, est typique de la région. Elle fait partie d'une cuvette de 400 ha d'un seul tenant, sans diguettes, aménagée par la Société d'Aménagement et d'Etudes pour le Développement et cultivée en riz depuis 10 ans. L'eau arrive par le bas de la cuvette lors de la crue du Sénégal, vers le 15 août et inonde peu à peu toute la rizière. Elle stagne jusqu'en novembre et le sol s'assèche ensuite rapidement.

Chaque mois, du 25 juillet 1974 au 25 juin 1975, 5 à 10 échantillons furent prélevés sur une même ligne de transect repérée par un alignement, à raison d'un prélèvement tous les 10 pas, à l'aide d'une sonde permettant de séparer 3 fractions de profondeur différente (0.20, 20.40 et 40.60 cm). Cette méthode ne permettait pas d'obtenir des quantités appréciables de racines; seules les populations du sol ont donc été étudiées.

L'humidité des échantillons (poids d'eau en % du poids de terre humide) était mesurée, la terre restante était pesée et les nématodes extraits selon la méthode habituelle, avec la modification suivante. Après élutriation, la suspension de nématodes est débarrassée des débris organiques par passage sur un filtre en papier (Kleenex). Les nématodes actifs traversent le filtre en quelques heures. Cependant Demeure (1975) a montré que dans un sol sec, certaines espèces de nématodes entraient en quiescence; lors de l'extraction, ces phases quiescentes doivent d'abord être réactivées par l'eau et ne traversent le filtre qu'après plusieurs jours. Nous avons donc poursuivi l'extraction pendant 7 jours, et compté les nématodes ayant traversé le filtre après 3 heures et 7 jours : population active et population totale. Les populations observées ont été ramenées au litre de sol.

Les observations suivantes ont été effectuées :

Humidité du sol (fig. 1 A)

Le sol était très sec lors du premier prélèvement, à la fin de la saison sèche. A l'arrivée de la crue, en août, l'humidité augmente, puis reste constante pendant toute la saison de culture, jusqu'en novembre. Fin décembre, l'eau s'était retirée et l'humidité baissait rapidement en surface, plus lentement en profondeur.

Peuplement

Hirschmanniella oryzae est la seule espèce découverte dans les nombreux prélèvements effectués. Ceci correspond bien aux peuplements habituels des rizières de cette région (Fortuner, 1975).

Evolution des populations

Au cours d'une même série de prélèvements mensuels, les populations dénombrées aux divers points de prélèvements ont une importance comparable. Ceci montre que les peuplements des vieilles rizières du Delta sont bien établis et homogènes.

L'évolution annuelle des populations est donnée par la fig. 1 13. Nous remarquons les faits suivants :
—    le niveau initial de population est faible mais non négligeable en surface, plus réduit en profondeur;
—    l'augmentation est rapide dès la mise en eau, en août. Il paraît peu probable que ce soit dû à une première génération de nématodes. Par contre, comme Merny (1972) l'a montré pour H. spinicaudata, les nématodes ayant hiverné dans les racines en sortent dès l'humidification du sol. Ce phénomène double ici l'inoculum initial.

Les populations atteignent un maximum au cours du tallage en surface et restent constantes jusqu'à la maturation du riz, en novembre, En profondeur, les populations ne sont jamais fortes.
—    A maturité on ne constate pas d'augmentation des populations du sol. Merny (1972) avait, lui, constaté que les populations de H. spinicaudata augmentaient dans le sol à cette époque par suite de la sortie des nématodes des racines. Cette sortie est probablement empêchée dans le Delta par suite du dessèchement du sol.
—    De décembre à mars, les populations restent stables en surface puis diminuent lentement jusqu'au niveau initial. En profondeur, la diminution est rapide dès novembre et les populations sont très réduites en février. H. oryzae ne migre pas en profondeur pendant l'inter culture, comme Merny (1972) l'a constaté pour H. spinicaudata et à l'inverse de ce que Demeure (1975) a observé chez Scutellonema sp.
—    Pour suivre l'apparition de phases quiescentes, la variation annuelle du nombre de nématodes récupérés en 3 heures au cours de l'extraction (en % du nombre total récupéré en 7 jours) a été notée (fig. 1 C). En juin le pourcentage de sortie à 3 h est nul pour les 3 profondeurs : tous les nématodes sont quiescents dans le sol sec. A partir d'août il augmente régulièrement jusqu'en septembre puis diminue lentement. En surface le sol se dessèche ensuite rapidement et, dès janvier, il n'y a plus aucune sortie à 3 h : les nématodes sont déjà quiescents. En profondeur, dans le sol plus humide, il subsiste un certain pourcentage de sorties à 3 h jusqu'en mars : la quiescence n'est pas complète avant cette date.


humidité du sol (% d'eau)    
nématodes par l de sol    
nematodes actifs (%)    



FIG. 1. — Variations annuelles dans une rizière du Delta du Sénégal :
A — Humidité du sol.
B — Populations de Hirschmanniella oryzae.
C — Pourcentage de nématodes actifs.

Conclusions

Dans le Delta, Hirschmaniella oryzae est capable de supporter in situ la saison sèche. Chaque culture est donc contaminée par le reliquat des populations ayant parasité la culture précédente et non pas de novo à partir d'individus provenant de zones refuges (flore spontanée des mares permanentes par exemple). L'inoculum initial dans le sol est faible et bien qu'il soit renforcé par les populations ayant hiverné dans les racines, il conviendrait d'établir qu'il est effectivement capable de produire les populations observées en fin de culture.
Si l'on observe une certaine multiplication des populations en profondeur au cours de la culture, l'essentiel de leur évolution se produit en surface.
Enfin nous avons pu mettre en évidence l'existence d'une phase quiescente consécutive à l'assèchement du sol qui semble jouer un rôle considérable dans la survie de l'espèce. En effet, en profondeur, entre décembre et mars, l'humidité du sol, encore élevée, retarde l'apparition de la quiescence. Nous constatons que les populations diminuent fortement pendant cette période. Par contre, à toutes les profondeurs, les populations ne diminuent plus que lentement dès que la quiescence est établie.


2. Evolution annuelle des populations de nématodes d'une rizière de Basse Casamance

Parallèlement à l'expérience précédente, des observations ont été effectuées à la même époque et selon les mêmes méthodes dans une parcelle de la station de l'Institut Sénégalais de Recherches Agronomiques de Djibélor (parcelle E 7).

Cette station rizicole a été aménagée en 1960 par l'Institut des Recherches Agronomiques Tropicales sur un site cultivé en riz depuis des siècles. La maîtrise de l'eau y est complète et le riz y est cultivé en conditions irriguées. Il y a eu une seule culture de riz en 1974, du 9 juillet au 30 octobre, puis le sol est resté inondé jusqu'en février 1975.

Humidité du sol

Elle est restée constante en surface (Fig. 2) d'août 1974 à mars 1975 puis a baissé brusquement jusqu'en mai. En profondeur, elle a diminué progressivement d'août à mai.

Peuplement

Il est constitué principalement de Hirschmanniella spinicaudata et de Tylenchorhynchus mashhoodi. Criconemoides palustris Luc et Hemicycliophora diolaensis Germani & Luc ont été observés de façon trop épisodique pour que l'on puisse suivre leur évolution.


humidité du sol (% d'eau)    
nématodes par l de sol    


q Tylenchorhynchus mashhoodi O Hirschmanniella spinicaudata



FIG. 2. — Variations annuelles dans une rizière de Casamance, en surface 10.20 cm).


Evolution des populations

Pour H. spinicaudata les populations initiales sont faibles puis augmentent régulièrement en surface jusqu'à la récolte. Les populations diminuent ensuite et se stabilisent à un niveau très bas dès février (fig. 2). En profondeur les populations sont restées constamment faibles.

En cours de culture le pourcentage de sortie à 3 h au cours de l'extraction est plus faible que chez H. oryzae. Il diminue après la récolte mais ne s'annule pas. Il n'y a pas eu assèchement du sol et nous n'avons donc pas pu mettre en évidence une éventuelle phase de quiescence chez H. spinicaudata.

Les populations de T. mashhoodi suivent une évolution très différente. En surface elles sont très fortes en août (fig. 2). Puis les populations diminuent pendant la culture pour atteindre un minimum à la récolte, en octobre. Les populations restent stables jusqu'en mars, puis s'accroissent fortement.

En profondeur, entre 20 et 40 cm, les populations suivent une évolution parallèle bien qu'à un niveau généralement plus bas. Entre 40 et 60 cm elles restent constamment faibles.

Conclusions

Alors que l'évolution des populations de H. spinicaudata est reliée à la culture du riz, nous constatons que T. mashhoodi voit ses populations décroître pendant la culture, quand le terrain est inondé. Ses populations augmentent au contraire après la récolte quand le sol est asséché bien que l'humidité y soit suffisante pour permettre aux repousses de riz et aux plantes adventices de se développer.

1.3. Recherche de zones refuges

L'étude écologique menée à N'Dieten nous a montré que H. oryzae était capable de supporter la saison sèche in situ. Il semble donc que la population en place soit suffisante pour expliquer la contamination des cultures successives. Cependant, même au cœur de la saison sèche, il existe dans le Delta un certain nombre de points d'eau, marigots et mares permanentes, possédant une abondante flore spontanée pouvant abriter le nématode qui a été signalé par plusieurs auteurs (Van der Vecht & Bergman, 1952; Chantanao, 1962; Kawashima, 1963; Buangsuwon et al., 1971; Mathur & Prasad, 1973) parasitant des Graminées et des Cypéracées. Nous avons recherché des hôtes de H. oryzae en effectuant des prélèvements à différents endroits du Delta, soit dans des rizières, soit dans des zones non cultivées. Seule la population à l'intérieur des racinesa été considérée. Le tableau I regroupe les résultats obtenus : plantes hôtes ayant plus de 2 nématodes au gramme de racine, hôtes douteux, moins de 2 nématodes au gramme, plantes non infestées; pour ces dernières nous n'avons considéré que les plantes prélevées dans des zones bien infestées par H. oryzae. Certaines espèces ayant été prélevées plusieurs fois, les différents résultats sont donnés. Les plantes ont été identifiées par M. Bille, botaniste ORSTOM.

H. oryzae peut donc parasiter de nombreuses plantes du Delta dont certaines sont assez répandues dans la région (Echinochloa colona, Cyperus maritimus, C. auricornus, Phragmites mauritianus, Diplachne fusca...). Bien que non indispensable, l'existence de ces hôtes permet l'entretien de populations de H. oryzae dans toute l'étendue du Delta, même dans des zones n'ayant jamais été cultivées en riz. Ces parasites pourront infester rapidement toute nouvelle rizière installée dans la région. C'est en effet ce qui a été constaté lors de l'étude faunistique (Fortuner, 1975) : alors que les rizières sont peu ou pas infestées par H. oryzae l'année suivant leur installation, nous avons rencontré ce parasite dans toutes les rizières âgées de deux ans et plus, où il était présent en populations très abondantes.

Signalons que H. spinicaudata a été trouvé en populations notables (5/g de racine) sur Typha sp. et Phragmites sp. au bord du Sénégal, ce qui confirme sa présence dans le Delta. D'autres hôtes de cette espèce ont été recherchés parmi la flore adventice des rizières de Casamance (tabl. II). Merny (1973) a donné quelques hôtes de cette espèce en Côte d'Ivoire.

2. EXPÉRIMENTATIONS AU LABORATOIRE

Pour compléter et préciser les observations écologiques exposées ci-dessus, un certain nombre d'expériences ont été effectuées au laboratoire.

2.1. Durée de survie de H. oryzae en l'absence d'hôte

Pour suivre la décroissance des populations de Hirschmanniella oryzae dans le sol et les racines en l'absence de plante hôte, deux micro parcelles de 1 m2 précédemment infestées par ce nématode ont été laissées, l'une sous une lame d'eau permanente, l'autre à sec, pendant un an, du 21 novembre 1972 au lei décembre 1973. Lors de la récolte, le 21 novembre 1972, les plants de riz ont été coupés au-dessous du collet et les racines laissées en place dans le sol. Chaque mois des prélèvements portant sur 3 systèmes racinaires de riz et la terre environnante ont été effectués dans chaque parcelle (fig. 3).

TABLEAU I
Plantes spontanées hôtes de Hirschmanniella oryzae, dans le Delta du Sénégal.
Plantes    Nématodes par gramme de racine
Hôtes :   
Cyperus auricomus Sieb.                   156
Scirpus cubensis Kunth.                    23
Echinochloa colona Link.*                16-6-0,5-0-0
Aeschynomene indica L.                   11-8-5-tr.-0
Phragmites mauritianus Kunth.           10
Diplachne fusca P. Beauv.                6
Sorghum vulgare Pers**.                    5
Cyperus maritimus Poir.    5
Eleusine indica Gaertn*.    4
Andropogon gayanus Kunth.    2
Hôtes douteux :   
Vetiveria sp.    1,5
Sporobolus robustus Kunth.    1-0,5-0
Vossia cuspidata Griff.    0,5-0
Typha sp.    0,5 -0 ,5 -tr.-0 -0 -0 -0
Brachiaria mutica Stapf    tr.-0-0
Digitaria sp.    tr.
Nymphaea inicrantha G. et Perr.    :r.
Oryza Barthii A. Chev.    tr.-tr.-tr.-0
Oryza breviligulata Chev. et Roer.    tr.
Pycreus albomarginatus Nees.    tr.-0
Saccharum officinarum L.    tr.-0
Setaria pallidifusca Stapf et Hubb.    tr.
Non infestées :   
Cyperus dives Del.    0-0-0
Echinochloa pyramidalis Hitch. et Ch.    0
Hordeum vulgare L.    0
Lepturella aristata Stapf.    0
Nymphaea Lotus L.    0
Nymphoides sp.    0-0
Phragmites sp.    0-0-0-0
Scirpus maritimus L.    0-0-0-0
Sphenoclea zeylanica Gaertn.    0-0-0
Triticum aestivum L.**    0
Wissadula rostrata (Sch. et Th.) Fries.    0
* signalé comme hôte par Van der Vecht et Bergman (1952).
** signalé comme non hôte par Mathur et Prasad (1973).


Dans les deux parcelles, les populations du sol restent constantes pendant les 9 premiers mois. Elles décroissent ensuite dans la parcelle en eau et sont pratiquement nulles après un an. Elles ont au contraire augmenté entre le 9e et le 12e mois dans la parcelle à sec.

Dans les racines, les populations décroissent rapidement dans la parcelle en eau et ne sont plus que de quelques individus au gramme de racine dès le 3e mois. Elles diminuent plus lentement dans la parcelle à sec où elles restent importantes jusqu'au 9e mois, puis dé-croissent du 9e au 12e mois, au moment où les populations du sol augmentent. Ceci a eu lieu pendant la saison des pluies qui ont humidifié le sol, permettant la sortie des nématodes des racines.

Conclusions

Quand le sol est inondé, la matière végétale pourrit et les populations des racines diminuent et s'annulent très vite. La survie est plus longue dans le sol mais il n'y a pratiquement plus de nématodes après un an.

TABLEAU II
Plantes spontanées hôtes de Hirschmanniella spinicaudata dans les rizières de Casamance.
Plantes    Nématodes par gramme de racine
Hôtes :
Cyperus maritimus Poir.    2-0
Heleocharis geniculata (L.) R. et S.    2
Hôtes douteux :    
Pycreus patens (?)    0,5
Cyperus triangulare (?)    0,5-tr.
Scleria sp. (?)    tr.
Urena lobata L.    tr.
Non infestées :    
Bacopa crenata (P. Beauv.) (Hepp.)    0
Cyperus imbricatus Retz.    0


nématodes : O au l. de sol, q pour 10 g. de racines

FIG. 3. — Durée de survie de Hirschmanniella oryzae.
A — Sol submergé.
B — Sol sec.


Ces résultats confirment ceux de Merny (1972) qui a observé une évolution identique de H. spinicaudata en Côte-d'Ivoire.

Quand le sol est sec, les populations du sol et des racines décroissent lentement pendant 9 mois. Ensuite la réhumidification du sol a provoqué un transfert de la phase endophyte vers la phase exophyte. Rappelons que nous avons remarqué un phénomène similaire dans le Delta où les populations du sol ont doublé dès l'arrivée de la crue.

Divers auteurs ont obtenu des résultats différents des nôtres. Van der Vecht et Bergman (1952) ont noté une survie importante en pot après 10 semaines. La survie est la même quelle que soit l'humidité du sol, par contre elle est plus longue dans un sol avec des racines que dans un sol sans racines. Au Japon, Kawashima (1962) estime que la survie est assurée par les larves et les adultes se trouvant dans les racines et que les oeufs jouent un rôle dans les rizières très humides. Par contre les nématodes ne peuvent survivre à l'assèchement du sol. Park et al. (1970) notent que H. oryzae survit en Corée dans l'eau des rizières pendant 7 mois. Mathur et Prasad (1973), dans des essais en pot, observent une meilleure survie dans l'eau que dans le sol. Ils retrouvent des populations importantes de H. oryzae dans des prélèvements effectués sur jachère ou sur culture de blé pendant la saison sèche.

Ces contradictions peuvent s'expliquer soit par une approche du problème différente : certains auteurs ont fait des essais en pot, d'autres des observations au champ, soit, dans ce dernier cas, par l'existence de facteurs variant d'un pays à l'autre (température, évolution de l'humidité du sol, pourrissement des racines, etc.).

2.2. Effet de la submersion

L'étude écologique effectuée en Casamance nous a montré que T. mashhoodi supportait très mal la submersion prolongée. Nous avons voulu préciser l'influence sur les nématodes de la conduite de l'eau pendant la culture du riz.

Des pots de riz ont reçu 100 individus de l'une des trois espèces : Hirschmanniella oryzae, H. spinicaudata, ou T. mashhoodi. Certains pots ont été maintenus en permanence sous une lame d'eau, d'autres soumis aux mêmes conditions 5 jours par semaine puis étaient mis à sec les 2 autres jours, d'autres enfin étaient arrosés suffisamment pour permettre la croissance de la plante mais ne furent jamais inondés. Chacun des neuf traitements possibles (3 espèces X 3 conduites de l'eau) était répété 6 fois.

Après 3 mois, les nématodes contenus dans 250 cc de terre et dans toutes les racines de chaque pot ont été extraits et comptés (tabl. III). T. mashhoodi, ectoparasite, n'a pas été retrouvé dans les racines. Les résultats ont été analysés par le test U de Mann-Whitney.
Les deux Hirschmanniella supportent mal (H. oryzae) ou pas du tout (H. spinicaudata) l'absence de submersion. Par contre il n'y a pas de différence entre les populations des pots inondés en permanence ou 5 jours par semaine seulement.

T. mashhoodi, lui, ne supporte pas la submersion totale, mais une mise à sec de 2 jours par semaine est suffisante pour qu'il se développe normalement.

Une deuxième expérience a permis de préciser la sensibilité de T. mashhoodi et de H. spinicaudata à la submersion. Des pots de riz inoculés avec 300 individus de l'une ou l'autre espèce ont été maintenus sous une lame d'eau 1, 2, 3, 4, 5, 6 ou 7 jours par semaine. Chaque série comportait 10 répétitions.

Les nématodes se trouvant dans la terre de chaque pot ainsi que ceux présents à l'intérieur des racines pour H. spinicaudata ont été extraits et comptés après 3 mois (fig. 4). Les résultats ont été comparés deux à deux par le test U de Mann-Whitney.

Chez T. mashhoodi, toutes les moyennes sont significativement différentes sauf les deux premières (1 et 2 jours de submersion). On observe un pic très net dans le développement des populations pour 3 jours de mise en eau. Les populations sont deux fois plus faibles si la période de submersion hebdomadaire ne dure que 1 ou 2 jours. Les populations décroissent très rapidement quand la durée de submersion dépasse trois jours par semaine.

Pour H. spinicaudata, il n'y a pas de différence entre les populations des pots mis en eau 3, 4, 5 ou 6 jours par semaine. Par contre si la submersion est plus longue (7 jours par semaine), ou plus réduite (1 ou 2 jours par semaine) les populations sont deux fois plus faibles.


TABLEAU III
Effet de la submersion sur le développement de trois nématodes du riz.
Espèces
Sol sec
Submersion intermittante
Submersion continue
Hirschmanniella oryzae
sol (litre) : 9
racines (g.) : 0,15
116
1,73
42
2,2
Hirschmanniella spinicaudata     
sol (litre) : 0
racines (g.) : 0
66
4,07
147
1,85
Tylenchorhynchus mashhoodi
sol (g.) : 214000
53 940
99

 

population totale (par pot)    
submersion hebdomadaire (jours)    
Tylenchorhynchus mashhoodi            Hirschmanniella spinicaudata

Fig. 4. — Effet de la durée de submersion hebdomadaire sur les populations de deux espèces de nématodes :
A — Hirschmanniella spinicaudata.
B — Tylenchorhynchus mashoodi.


Conclusion

Ces expériences confirment les observations effectuées en Casamance. T. mashhoodi est plus une espèce des rizières de nappe, très humides mais non submergées, que des véritables rizières inondées. En particulier, les rizières du Delta qui supportent une lame d'eau permanente pendant toute la culture du riz ne permettent pas le développement de cette espèce, ce qui explique son absence dans les peuplements de cette région. Les populations de T. mashhoodi sont très fortesquand les conditions sont favorables, ce qui confirme la grande capacité de multiplication de cette espèce. Elle pourra donc coloniser rapidement un terrain où, par suite du drainage du sol, l'humidité lui devient favorable, situation qui existe fréquemment en Casamance. H. spinicaudata est, au contraire, adapté aux conditions de submersion des véritables rizières irriguées.

2.3. Effet de la texture du sol

L'analyse granulométrique de terre prélevée à N'Dieten dans le Delta et à Djibelor, en Casamance, montre de grandes différences dans les teneurs en argile (58,7 contre 16,8 %) et en sable (5,6 contre 58,5 %). Nous avons cherché à préciser si ces différences de texture pouvait influer sur le développement de Hirschmanniella oryzae et de H. spinicaudata.

Des pots ont été remplis avec de la terre stérilisée provenant soit de N'Dieten, soit de Djibelor, et du riz y a été semé. Les pots ont reçu des inoculums de 100 individus, soit de H. oryzae, soit de H. spinicaudata. Chacun des 4 traitements de l'essai (2 types de terre X 2 espèces de nématodes) a été répété 5 fois.

Après 3 mois, les nématodes contenus dans 250 cc de terre et dans toutes les racines de chaque pot ont été extraits et comptés (tabl. IV). Les résultats ont été analysés par le test U de Mann-Whitney.

Conclusion

H. oryzae se développe beaucoup mieux dans la terre du Delta que dans celle de Casamance, tandis que H. spinicaudata se développe également dans les deux sols. Les deux espèces diffèrent principalement par leur taille. Il semble que H. oryzae, plus mince soit capable de se mouvoir dans un sol composé de fines particules argileuses mais que les pores du sol sableux soient trop gros pour lui permettre de se déplacer. Au contraire le sol sableux de Casamance convient bien à H. spinicaudata qui est beaucoup plus gros. Reversat et Merny (1973) ont obtenu des résultats équivalents en étudiant l'influence de la granulométrie du sol sur la pénétration dans les racines de H. spinicaudata et de Heterodera oryzae, les dimensions de cette dernière espèce étant comparables à celles de Hirschmanniella oryzae. D'autre part, Mathur et Prasad (1971) ont eux aussi noté que H. oryzae se développe en plus fortes populations aux Indes dans les sols lourds argileux.

2.4. Effet de l'inoculum initial de Hirschmanniella oryzae

Nous avons vu que H. oryzae survivait in situ pendant l'inter-campagne dans les rizières du Delta et nous avons supposé que les reliquats de population observés pouvaient expliquer l'infestation de la culture de riz suivante. Il fallait vérifier que les faibles populations dénombrées avaient cependant une taille suffisante pour rendre compte des populations finales importantes présentes en fin de culture.

Des pots de riz ont été inoculés avec 10, 30, 100, 300 et 800 individus de H. oryzae. Chaque inoculum était répété 16 fois (11 fois seulement pour l'inoculum N° 2). Après 3 mois les nématodes contenus dans un litre de terre et dans toutes les racines de chaque pot ont été extraits et comptés (fig. 5).

Conclusion

Les populations finales augmentent avec l'importance de l'inoculum pour atteindre un maximum pour un inoculum de 300 (pas de différence significative par le test t entre les populations finales moyennes pour les inoculums 300 et 800).

Il est bien sur délicat d'extrapoler ces résultats mais, dans les conditions de l'expérience tout au moins, un inoculum de taille comparable à celle de la population initiale observée dans la rizière de N'Dieten est suffisant pour obtenir une population finale maximale.


TABLEAU IV
Effet de la lecture du sol sur le développement de trois nématodes du riz.
Espèces    Sol argileux(Delta)    Sol sableux(Casamance)
Hirschmanniella oryzae    sol (250 cc)    :    113    9
    racines (g.)    :    16,2    2,7
Hirschmanniella spinicaudata    sol (250 cc)    :    122    191
    racines (g.)    :    13,1    18,7


population finale    
inoculum    


FIG. 5. — Influence de l'inoculum sur les populations finales d'Hirschmanniella oryzae.




2.5. Evolution des populations de H. oryzae au cours de la culture du riz.

Quarante pots de riz ont été inoculés avec 50 H. oryzae chacun et gardés cinq jours par semaine en conditions submergées. Un pot était prélevé au hasard tous les trois jours et les nématodes contenus dans l'ensemble du pot (terre et racines) étaient extraits et comptés (fig. 6).

On constate que les populations restent faibles et inférieures à l'inoculum pendant les 30 premiers jours, puis s'accroissent brusquement et atteignent un premier plateau entre 30 et 70 jours. A ce moment une deuxième phase d'accroissement permet d'atteindre des niveaux élevés de plusieurs milliers d'individus par pot.

Le pourcentage de la population totale contenu dans les racines est faible les premiers jours, et augmente entre 10 et 50 jours avec la pénétration des nématodes. Après le début de l'épiaison, à 75 jours, les populations des racines commencent à sortir dans le sol et le pourcentage dans les racines diminue lentement. Ces résultats sont en accord avec ceux de Merny (1972).

Conclusion

Cette expérience confirme les résultats de l'essai précédent : un inoculum de 50 individus donne une population finale de 1 000 à 2 500 nématodes. L'époque optimale pour les prélèvements se situe entre l'épiaison et la maturation du riz : les populations restent stables à leur niveau maximum. La présence de trois phases successives dans l'accroissement des populations peut s'expliquer si l'on suppose qu'il y a eu trois générations successives de parasites, au cours de l'expérience. Chaque génération dure donc 30 jours, ce qui est en accord avec Van Der Vecht et Bergman (1952) qui estiment à un mois la durée minimum nécessaire pour passer de l'oeuf à l'adulte.

DISCUSSION

Hirschmanniella oryzae survit à la saison sèche in situ dans les rizières du Delta. Il supporte les conditions rigoureuses de température et de sécheresse régnant à cette époque en se mettant en quiescence.

A la fin de la saison sèche, il est présent dans le sol en populations faibles, de l'ordre de 200 au litre de sol. Des essais de dynamique de population en pot ont montré que des inoculums de taille comparable sont suffisants pour produire une population finale importante.

Il existe d'autre part une population résiduelle dans les débris de racine qui viendra renforcer les populations du sol dès la réhumidification du milieu.

La réinfestation de chaque culture de riz successive est donc assurée par le reliquat des populations de la culture précédente.

D'autre part, H. oryzae est présent sur de nombreuses plantes spontanées dans toute la zone du Delta; une nouvelle rizière installée dans une zone vierge sera donc en présence de populations déjà en place. Le parasite s'installera et se développera rapidement sur le riz, sa meilleure plante hôte.

Hirschmanniella oryzae se développe mal dans les sols sableux tels ceux des rizières de Casamance. Ceci pourrait expliquer son importance très secondaire dans les peuplements des rizières de cette région.

H. spinicaudata, plus gros, s'accommode bien des sols sableux.

Tylenchorhynchus mashhoodi supporte très mal la submersion prolongée il s'accommode au contraire de sols plus aérés, mêmes s'ils sont très humides, tels ceux des rizières de nappe de Casamance.

Grâce à sa grande capacité de reproduction il sera néanmoins présent dans les rizières inondées si à la culture submergée du riz succède une phase humide non submergée permettant à ce parasite de reconstituer rapidement les populations détruites par l'inondation.
Cette sensibilité à la submersion suffit pour expliquer l'absence de T. mashhoodi dans les rizières du Delta où une phase de sécheresse totale succède à une période de submersion prolongée.

Les différences dans la conduite de l'eau au cours de la culture, dans l'humidité du sol pendant la saison sèche et dans la texture du sol des rizières peuvent expliquer l'existence des axes de variation observée dans les rizières du Sénégal.
— Seules les espèces du genre Hirschmanniella sont parfaitement adaptées à la submersion totale; ce seront les espèces dominantes dans les véritables rizières inondées.
— Entre les deux espèces du genre présentes au Sénégal existe une différence de taille faisant préférer à H. oryzae, plus petit, les sols argileux. La texture des sols des différentes régions rizicoles sénégalaises permet donc de rendre compte de la répartition de ces deux espèces.


nématodes dans les racines (%)    
population totale par pot    
jours    


FIG. 6. — Evolution des populations de Hirschmanniella oryzae au cours d'une culture de riz.
A — Pourcentage des populations dans les racines.
B — Evolution des populations totales.



Manuscrit reçu au S.C.D. de l'ORSTOM le 30 juillet 1976.


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