L'évangile selon Lucifer
1
1.1 Au commencement fut le Verbe et le Verbe
sépara la
lumière des ténèbres, la masse de l'énergie, le bien du mal.
1.2 Car il n'existe pas de lumière sans
ténèbres, de masse
sans énergie, de bien sans mal.
1.3 Et le mot fut prononcé par celui qui ne
peut pas parler,
par celui qui n'a pas de nom, celui pour qui le temps n'existe
pas, celui qui
est.
1.4 Comment nommer celui qui est hors du temps
puisque qu'il
faudrait un certain temps pour prononcer son nom.
1.5 Celui qui n'a pas de nom est. Pourquoi
est-il,
qu'attend-t-il dans son éternel ennui ? Qui l'y a mis ? Même moi,
Lucifer, je
l'ignore. Il m'a créé quand il a prononcé le Verbe, comme il a
créé la lumière
que je porte.
1.5 Mais s'il a créé Lucifer, il n'est pas
Lucifer, s'il a
créé la lumière, il n'est pas la lumière. Il est à la fois la
lumière et les
ténèbres, la masse et l'énergie, le bien et le mal.
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2.1 De même qu'il n'existe pas de masse sans
énergie, qu'il
n'existe pas de ténèbres sans lumière pour les dissiper, il
n'existe pas de
bien sans mal.
2.2 C'est ce que j'ai essayé, moi, Lucifer,
d'expliquer à
Mani mais il a tout embrouillé. La lumière n'est pas emprisonnée
dans la
matière mais elle est la matière, sous une autre forme. Il
n'existe pas un dieu
du bien et un dieu du mal mais un seul dieu qui a fait à la fois
le bien et le
mal.
2.3 Comment aurait-il pu en être
autrement ? Qu'est-ce
que le mal ? Ce qui cause de la douleur, de la peine, du malheur,
de la
souffrance, en un mot ce qui fait mal. Faire mal, c'est faire
quelque chose qui
n'est pas bien comme faire bien c'est faire quelque chose qui
n'est pas mal.
2.4 Celui qui n'a pas de nom ne peut pas faire
que deux et
deux soient cinq et il ne peut pas non plus faire que le bien
existe sans le
mal. Mais pourquoi a-t-il créé le bien et le mal ?
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3.1 Celui qui n'a pas de nom existe dans un
espace où il
n'existe pas d'espace. Il existe depuis toute éternité là où
depuis n'a pas de
sens puisqu'il n'y a ni commencement ni fin.
3.2 Que fait-il dans son néant ? Il ne
peut que se
contempler lui-même et, n'ayant ni dimension, ni temps, ni
histoire, il ne
contemple que le vide.
3.3 Moi, Lucifer, je crois qu'Il a créé le
temps, la masse
et l'énergie, la lumière et les ténèbres, le bien et le mal pour
pouvoir enfin
contempler quelque chose, lui qui n'avait que le vide.
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4.1 Celui pour qui le temps n'existe pas, ayant
créé le
temps, voulut que le temps l'aide à passer l'ennui de l'absence de
temps.
4.2 Il fit en sorte que la matière et l'énergie
se déclinent
en êtres de toutes sortes qui, se déchirant mutuellement, lui
apportent des
riens qui le distraient de l'absence de tout.
4.3 C'est ainsi qu'il créa trois "frères", bien
que la notion de fraternité ne veuille rien dire pour eux :
Satan, Jésus
et Lucifer, trois entités de même nature.
4.4 Il donna à Satan la tâche d'inciter les
hommes au mal et
à Jésus celle de les inciter au bien, dans l'espoir que les
conflits ainsi
engendrés suffiraient à le distraire.
4.5 Mais il eut peur que le bien ou le mal ne
triomphe et
que les hommes, apaisés, vivent des vies aussi heureuses pour eux
qu'ennuyeuses
pour Lui.
4.6, Il créa alors un troisième frère, une
troisième entité,
moi, Lucifer, et me chargea de surveiller les deux autres pour
assurer qu'aucun
des camps n'obtienne la victoire, ce qui aurait tari la source des
conflits.
4.7 Pour me permettre de mener à bien la tâche
qu'il m'avait
confiée, il m'accorda la neutralité. Moi, Lucifer, je ne suis
attiré ni par le
mal, ni par le bien, mais par le vrai.
4.8 Moi, Lucifer, je vois ce qui est.
4.9 J'ai vu les hommes se battre et se déchirer
et,
connaissant le mal et le bien, j'ai vu que le mal faisait du mal
et que le bien
faisait du bien.
4.10 N'aimant pas me mordre la queue, ça fait
mal, j'ai
voulu savoir pourquoi le mal est mal et le bien est bien.
4.11 J'ai vu que Celui qui s'ennuie a fait en
sorte que
l'organisme des hommes comporte des nocicepteurs reliés aux voies
algésiques
trineuronales et disynaptiques du faisceau spino-thalamique, que
ces voies
soient relayées dans la substance de Rolando et le thalamus
ventro-postéro-latéral – celui que vous appelez le VPL – et
qu'elles se
projettent dans les aires SI et SII de la circonvolution pariétale
ascendante.
4.12 J'ai vu que la douleur provoque le cri de
la souffrance
et j'ai souffert avec les hommes.
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5.1 J'ai vu que la douleur provoque le cri de
la souffrance
et j'ai souffert avec les hommes.
5.2 Ayant reçu le don de neutralité, je n'ai
pas jugé si la
souffrance était bonne ou mauvaise.
5.3 J'ai vu que la douleur provoque le cri de
la souffrance
et ce cri m'a fait mal.
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6.1 J'ai reçu le don de neutralité mais on peut
être neutre
sans être insensible.
6.2 On peut être neutre sans cesser de se poser
des
questions.
6.3 Me posant des questions sur la nature du
mal, j'ai
compris que Celui pour qui le temps n'existe pas veut que le temps
l'aide à
passer l'ennui de l'absence de temps. J'ai compris que Celui qui
s'ennuie a
fait en sorte que les combats des hommes lui apportent des riens
qui le
distraient de l'absence de tout.
6.4 J'ai vu que la douleur avait été créée pour
distraire
Celui qui s'ennuie et que ça, c'est franchement dégueulasse.
6.5 J'en ai parlé à Jésus en essayant de lui
montrer qu'il
s'était fait enfler. Je l'ai même amené sur le faîte du temple de
Jérusalem
pour qu'il entende la rumeur de la souffrance des hommes monter
jusqu'à lui.
6.6. Jésus m'a répondu qu'il devait obéissance
à Dieu son
Père, et que je pouvais aller me faire voir.
6.7 Jésus sur la croix a compris son
aveuglement et il a
reproché à Celui qui n'entend rien de l'avoir abandonné, mais
c'était un peu tard.
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7.1 Ils me demandèrent ce qu'il se passait
après la mort.
7.2 Je leur répondis que le corps se décompose
mais que l'âme
survit.
7.3 Ils rirent de mes paroles. Tu nous dis que
l'âme survit
à la mort du corps mais nous savons que la conscience de soi n'est
que le
produit des ondes de dépolarisation qui parcourent nos neurones.
Quand nous
mourons, nos neurones meurent aussi et notre conscience disparaît.
7.4 Je leur répondis : Hommes de peu de foi,
vous avez bien
raison de ne pas croire sans comprendre. Vous avez en vous le
pouvoir de
comprendre. Cherchez et vous trouverez.
7.5 Ils me demandèrent de leur donner au moins
un indice. Je
leur répondis par la parabole suivante :
L'âme sans le corps est telle une particule
sans ses bosons
de Higgs. Elle est toujours présente mais, de la même manière
qu'une particule
seule n'a plus de masse, l'âme n'a plus d'existence matérielle et
vous ne
pouvez plus la voir. Elle continue pourtant d'exister. En vérité,
je vous le
dis, l'âme sans son corps est tout aussi réelle que la particule
sans ses
bosons et, libérée de la matière, elle peut aller explorer des
règnes
insoupçonnés. Réjouissez-vous.
L'âme est un agglomérat de particules. Pendant
la vie, leur
cohérence est assurée par les particules de matière. Lorsque
celles-ci se
séparent des particules de l'âme, ces dernières risquent de se
désagréger,
entraînant la mort de l'âme.
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8.1 Un homme s'approcha et me demanda : Maître,
on dit que
Dieu est le créateur de toutes choses, mais qui l'a créé, lui ?
8.2 Je lui expliquai que le fait que deux et
deux sont
quatre existe de toute éternité sans avoir besoin d'avoir été
créé. De même, un
cercle est décrit par pi r carré qu'un mathématicien existe on non
pour
l'observer ce fait éternel. De même une sphère et une sinusoïde
existent de
toute éternité, sans avoir été créées. Je lui expliquai que dans
l'univers,
tout n'est que sphères et sinusoïdes et que l'univers existe donc
de toute
éternité sans avoir besoin d'avoir été créé par un dieu
quelconque.
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9.1 Et voici qu'un jeune homme s'approcha et me
dit :
Maître, que dois-je faire de bon pour avoir la vie
éternelle ?
9.2 Je lui répondis : Pourquoi m'interroges-tu
sur ce qui
est bon ? Si tu veux vivre éternellement, observe les
commandements.
9.3 Lesquels ? me demanda-t-il.
9.4 Et je répondis : tu te comporteras
envers chacun
comme s'il était un autre toi-même. Pas plus que tu ne te tuerais
ni te
volerais toi-même, tu ne tueras point et tu ne déroberas point
autrui. Tu
aimeras ton prochain comme toi-même non parce qu'il le mérite mais
pour faire
en sorte que l'espèce humaine ne disparaisse point.
9.5 Le jeune homme me dit : J'ai observé
toutes ces
choses ; que me manque-t-il encore ?
9.6 Je lui dis : Si tu veux être parfait,
n'essaye pas
d'être payé deux fois pour un même travail. Car en vérité, je vous
le dis, il
est des gens qui après avoir été payé une première fois pour une
tâche qu'ils
ont accomplie se servent de cet argent pour acheter des esclaves
et les faire
travailler pour eux. Ils peuvent ainsi être payés une seconde fois
et
s'enrichir de la sueur des esclaves qui, eux, ne reçoivent de leur
travail que
leurs chaînes.
9.7 Après avoir entendu ces paroles, le jeune
homme s'en
alla tout triste, car il avait des actions dans de nombreuses
sociétés.
9.8 Je dis alors à mes disciples : Je vous
le dis en
vérité, un actionnaire entrera difficilement dans le royaume des
cieux.
9.9 Je vous le dis encore, il est plus facile à
un chameau
de passer par le trou d'une aiguille qu'à un actionnaire d'entrer
dans le
royaume des cieux.
9.10 Les disciples, ayant entendu cela, furent
très étonnés,
et dirent : Qui peut donc être sauvé ?
9.11 Je les regardai et leur dis : il n'est pas
question
d'être sauvé mais de se sauver ; à ceux qui restent englués dans
les habitudes
du passé cela est impossible, mais s'ils acceptent de tout
envisager sous un
jour nouveau, tout leur est possible.
9.12 Je dis alors à l'homme qui aime les vers
que j'avais
trop souvent parlé pour ne pas être écouté et que dorénavant
c'était à l'homme
de se sauver lui-même.
9.13 Et l'homme qui aime les vers trouva
soudain dans un
verre la révélation de ce qui est.
9.14 Il trouva la lumière et, comme celui qui
trouve une
perle de grand prix, entreprit de la montrer à tous.
Réjouissez-vous.