Poèmes de jeunesse et
vers de mirliton
Renaud Fortuner, années 1960
Espoirs
Dans cette promotion mon regard ne se pose
Que sur des joues barbues, des faces de carême
Et il n'y a que toi … Il faudra bien que j'ose
Te dire que toi seule mérite que l'on t'aime.
Voyant ta taille fine, tes beaux cheveux si
blonds
Allumant un éclair brillant parmi la nuit
Dans laquelle tout seul, depuis un temps si
long
J'étais resté plongé sans un regard ami,
J'ai rêvé longuement au jour trois fois béni
Où dans mes bras enfin je pourrai te serrer
Et de tous mes soupirs recueillir les fruits.
Amoureux
transi
Où sont tous mes amours, que sont-elles
devenues
Ces filles que j'aimais, qui ne l'ont jamais su
?
Monique, tu t'es mariée, pourquoi as-tu choisi
Cet infecte barbu pour partager ta vie ?
Je sais, tu as grossi et tu t'es enlaidie
Je l'ai échappé belle, mais je t'avais choisie
Et tu m'as rejeté sans vouloir m'écouter.
Madeleine et Christine, où sont tous les cafés
Qu'on prenait tous trois, chez Tonton attablés
?
Entre toutes les deux je n'ai jamais choisi
Je n'ai jamais parlé et c'est bien mieux ainsi.
Et pourtant que de fois tout seul j'ai rêvé
A la douce Madeleine, à la belle Christine
Mais de mes deux amours jamais je n'ai parlé.
Oui, bien sûr, Bernadette, je sais, tu m'as
aimé
Mais tu étais si moche, toute petite et râblée
Et quand je dis râblée, tu étais même obèse
Comment avec ta tête voulais-tu qu'on te baise
?
Et l'autre, la sœur d'André, comment
s'appelait-elle ?
Je crois bien qu'elle m'aimait mais elle
n'était pas belle
Et je me suis enfui sans même m'en assurer.
Maintenant me voilà, tout seul, désespéré
Je ne sais même plus comment faire pour aimer.
Arrivera-t-il un jour où de nouveau mon cœur
A la vue d'une fille bondira de bonheur ?
Et si pour une fois celle que j'aimerai
Pouvait par grand hasard me trouver à son gré
De toutes mes erreurs je serai pardonné.
Soif
Soif
Des bouteilles sur canapé
Vert
Soif
Des glaçons dans un grand verre
Froid
Soif
Un puits dans le Sahara
Chaud
Soif
Devant la mer pleine de sel
Gemme
Soif
Partout et toujours.
Le chien
Un chien
Sale comme un chien
Connard
Pissait
Sur l'réverbère
Tout noir.
Il bande
Comme un mulet
L'ordure
Un chat
Lui coupe la queue
Bien fait !
Il gueule
Comme un cochon
Braillard
Ciseaux.
On lui coupe la tête
Il saigne
Il meurt
Faut l'enterrer
Il pue.
En
attendant l'heure
Mon sandwich était dans le car
Hélas le car était fermé
Il n'ouvrait qu'à deux heures et quart
Et j'étais vraiment couillonné.
Je suis parti me promener
Dans les jardins tout près du car
Pour attendre l'heure de manger
Pour attendre deux heures et quart.
Quand sur le banc tout près de moi
Une pépée s'est installée.
Elle venait de toucher son mois
Elle m'a dit "Viens, je peux payer."
"Je n'suis pas celle que vous croyez",
Ai-je répondu la bouche en cœur.
Mais elle m'a fichu une branlée
Et c'est comme ça qu'j'y suis passé.
Le
corbak et le renard
(J'ai entendu cette version à l'époque sans la
noter tout de suite. J'ai essayé de la reconstituer en la
modifiant sans doute un peu.)
Un pignouf de corbak sur un plumeux planté
Se collait dans la tronche un coulant baraqué.
Un renard combinard s'baladant dans le loinquet
Zieutant le corbak se mit à lui jacter.
"Eh mon pote, tu mégottes !
Tu la fais vrai de vrai comme les mecs de la
haute.
Si tu pousses ta jactance aussi bien qu'es
nippé
Tu f'ras bien la pige aux mectons du quartier."
Le corbak qu'était pas mariole
Lui balance en moins de deux le coulant sur la
fiole.
Moralité : ferme ta gueule quand t'es pas seul
!
La
cigale et la fourmi
Arrangement à partir d'une fable de La Fontaine
La cigale ayant dégoualé tout l'été
Se trouva sans un radis
Quand la bise eut rallégé
Que dalle à se coller dans l'bec.
Elle se pointa chez la fourmi son aminche
Lui disant de lui r'filer
Un morcif pour becqueter.
J'te l'rendrai sur la tête de mon dab,
Et même que j'te donnerai du rab.
La fourmi n'est pas r'fileuse
Elle s'rait même plutôt bécheuse.
"Qu'es-tu foutais au lieu d'trimer ?"
Qu'elle dit à l'autre emmerdeuse
"La noye et le jourdé, pour tous les mecs
Je goualais, et ferme to bec."
"Tu goualais ? Ca c'est marrant !
T'as qu'à guincher maintenant !"
La
grenouille qui voulait se faire aussi grosse qu'un bœuf
A partir d'une autre fable de La Fontaine
Une grenouille zieutant un biftèque sur patte
Se dit, c'mec-là est vachement bath !
Elle s'pousse du faux col et se travaille
Avalant l'air comme une boustifaille
En jactant "Mon pote, ça z'y est ?"
"Que dalle !" "Et maintenant j'y suis ?"
"Que dalle j'te dis."
"Et là, j'y fais la pige ?"
"C'est plutôt toi qu'as une drôle de tige !"
La pauvre mectonne à force de déconner
A fini par se faire tout péter.
La
bataille des deux dortoirs
Voyage d'étude de l'ITPA (Institut technique de
pratique agricole) dans la vallée du Rhône – 1966
Je vais vous raconter le combat effrayant
Qui a failli plonger la promo dans le sang.
La haine régnant en maître entre les deux
dortoirs
Avait soudain troublé la douce paix du soir.
Les dormeurs réveillés se dressaient sur leur
couche
Tout le monde braillait et, l'injure à la
bouche
Les frères ennemis prenaient leurs polochons
Surveillés par leurs chefs, prêts à dire
"Marchons" !
Je grand chef Jojo rassemble ses soldats,
Elève leur courage en leur disant "Les gars
On va, vous allez voir, aller taper dans l'tas
Et du haut de leur lit tous les foutre en bas"
Le barde Thonnelier excite les esprits
Sortant l'une après l'autre de fines
plaisanteries.
Les ennemis se sentaient à entendre ses
conneries
Les genoux tout tremblants et l'âme ramollie.
Brouard, son oreiller serré sur son grand cœur
Se tenait là tout droit, sans reproche et sans
peur.
Lhote, brave guerrier, en attendant son heure
Disait "On va rentrer dedans, comme dans du
beurre".
Et tous les autres aussi, avec leurs faces
viriles,
Sauf Petit et Barat partis dans la grand'ville
Pour y boire un bon coup et pour courir les
filles.
Dans les troupes indiennes, le brave Hassanaly
Hélas restait couché, étendu sur son lit
Et parmi tous ces braves, l'infâme Guineaudeau
Ne bougeant pas criait "Vos gueules bande de
salauds"
Dans le dortoir rebelle, les troupes étaient
prêtes
Serrées derrière leur chef pour nous faire
notre fête.
Déjà l'affreux Bruneau avançant dans le noir
Avait fauché la clef de notre grand dortoir.
Après ce rapt immonde, la colère se déchaîne
En voyant notre camp livré aux coups, sans
chaîne.
Le grand chef Jojo, quatre-vingt-dix kilos
Interpelle ses troupes et leur dit "Bande de
veaux,
Ces espèces d'enfoirés vont venir nous faire
chier.
Cette fois s'en est trop, tapons-leur sur le
nez !"
Et c'est à ce moment que le bon Fortuner
Se dit "Tous ces andouilles m'empêchent de
ronfler".
Il se lève et leur dit "Beaux sires chevaliers,
De mes méditations vous venez me tirer.
Calmez-vous je vous prie. Je vais moi-même
aller
Pour ramener le calme voir ces excités."
A ces mots les vaillants déposent toutes leurs
armes
Honteux de leur colère et jurant sur leurs âmes
De ne pas commencer les grandes hostilités.
Cependant Fortuner s'avance avec bonté
Calme et sans armes en chemise de clerc
Vers le camp qui bourdonne tel une ruche en
colère.
Il avance et il dit : "Honte à vous mécréants
Qui voulez attaquer notre camp traitreusement.
Notre camp où repose notre bon roi Gestin
Gestin qui vous lia jadis à son destin.
Vous lui avez offert, tout, vos hommages.
Vous voulez l'attaquer sans égards à son âge ?
A ces mots les rebelles se sentant tout péteux
Reculent en rougissant et se regardent,
honteux.
Ils déposent leurs armes, promettent de se
coucher.
Fortuner s'en retourne, joyeux d'avoir calmé
Cette grande révolte sans qu'un seul coup
d'épée
Ni d'une part ni d'autre jamais ne soit donné.
Les fidèles sujets du très grand roi Gestin
Retournent se coucher attendant le matin.
Cependant que s'apaise la fatale discorde
Dans le camp des rebelles, cette horrible
horde,
En voyant s'éloigner le grand conciliateur
A ses affreux projets retourne sur l'heure
Et tous ces sales rebelles, l'abominable
Breuil,
Le traite Defontaine, le ténébreux Jarroux
L'infecte Bonnacieux, cet horrible Barjou,
Tous ces grands hypocrites, sûrs que leur
reddition
Dans le grand camp royal a éteint les passions
S'apprêtent à perpétrer leur grande trahison.
Rassemblant leurs armes un instant déposées,
Dans le couloir obscur ils marchent à pas
feutrés.
Mais dans le camp royal sur les troupes
endormies
Le grand chef Jojo tout seul veille et prie.
Il entend tout à coup des frôlements suspects.
Il s'avance et il voit, puants, lâchant des
pets,
Avançant en bon ordre tous les affreux rebelles
Hirsutes, déguenillés, sentant le fond de
poubelle
Bêtes, gluants, idiots, rien sous le cabochon,
Mais tous bien armés de fort grands polochons.
Jojo n'a plus le temps d'éveiller ses soldats
Il s'arme alors, ce brave, d'un épais matelas
Et se précipitant sur les noirs attaquants
Il les renverse tous et les met sur le flanc
Les traitres étonnés de cette vaillante attaque
Recevant de partout des coups dans l'estomac
Tombent comme des mouches et s'enfuient en
désordre
Jusque dans leur camp en demandant des ordres.
Le grand Jojo, le matelas en main, sourit
En voyant la déroute de tous ses ennemis.
Sport
Compétition sportive entre les équipes des deux
sections, technique et supérieure, de l'ITPA (Institut technique
de pratique agricole)
Je t'en supplie ô Muse, refile moi donc ta lyre
Qua je puisse raconter avant que l'on se tire
Tous les exploits glorieux, tous les fameux
combats
Que se livrèrent ce jour ceux de l'ITPA.
Hélas la journée avait mal débuté
Et tous les supérieurs en se gourant sur
l'heure
A l'épreuve de nage étant éliminés
D'une victoire certaine se retrouvaient
frustrés.
Peu après le football voyait notre défaite
Et tandis que les Sup faisaient une drôle de
tête
Les techniques déjà croyaient à la victoire
Et pour fêter la coupe se préparaient à boire.
Mais bientôt le volley suivi par le basket
De notre camp enfin écartait la défaite.
Cependant que déjà le découragement
A l'équipe technique faisait grincer les dents.
La matinée enfin par le hand s'achevant
Qui vit tous les techniques en prendre plein
les dents
Permettant aux Super d'être à égalité
Quatre-vingt-dix partout, le retard comblé.
Après ces durs travaux on put enfin aller
Pique-niquer sur l'herbe pour se restaurer.
Je ne peux raconter, c'est hors de mon propos,
Les grands coups de fourchette des apprentis
péquenots.
Et pourtant quelle ardeur par tous fut apportée
Pour engloutir la bière et les mets préparés.
Amis remercions ici les bonnes cuisinières
Et de Jojo la main, si bonne pâtissière.
Puis le quatre-vingts mètres où l'on vit
Thonnelier
Ecraser les techniques de sa belle foulée
Et dans le même temps, poursuivant l'escalade,
Chantal, à la course, les rendait tous malades.
Ensuite on vit Garnier dans une grande envolée
S'échapper vers les cimes comme un oiseau ailé
Et puis le huit cents mètres qui vit Beau
triompher.
Ma Norton
Epreuve de composition d'un bout-rimé en forme
de sonnet lors du rallye-surprise ORSTOM en février 1979. Les
rimes imposées étaient : carburateur, heure, tracteur, bonheur,
frimeur, malheur, cafouille, andouille, rouille, bouille, marteau,
veau, explosion, flacon.
Mon chef-d'œuvre a remporté la première place :
En souvenir de … ma moto
Quand l'essence coule à flot dans le
carburateur
Que l'étincelle jaillit, jamais tu ne
cafouilles
Mais tu passes bien fière, devant tous ces
andouilles
Coincés dans leur auto, jamais sûrs d'être à
l'heure.
Ma moto ! Quand tu marches tu es mieux qu'un
tracteur.
Si noire ! Si belle ! Si jeune ! Pas une tache
de rouille !
Et les flics te saluent, charmés par ta bonne
bouille.
Moi, collé sur ta selle je suis plein de
bonheur.
Tu es toute ma vie. Sans toi je suis marteau
Et quand tu es en panne j'ai vraiment l'air
d'un veau.
Et pourtant par ma faute tu as eu des malheurs.
Ton carter s'est ouvert dans une grande
explosion
Un soir où je rentrais après quelques flacons.
C'est moi qui t'ai tuée, voulant faire le
frimeur.